La chaleur monta en moi comme une tempête dévastatrice et je la projetais avec une précision calculée contre la paroi de glace qui se trouvait en face de moi. Avec un fracas sourd, des tonnes de pierres se détachèrent de la falaise, emportant le peu de végétation et une quantité importante de neige jusqu'au pied du promontoire où je me tenais. L'aube venait de se lever ; mais je n'avais pas dormi. Je retirais vivement mon débardeur en jetant un rapide coup d'oeil au champ de mine qui s'étalait autour de moi, et m'assit en tailleur, essouflée. Je m'entraînais ici depuis la fin des cours. Je ne voulais plus risquer de croiser des gens que je connaissais, pas durant cette période en tout cas.
D'abord je détestais l'été. La température de mon corps augmentait considérablement, et j'avais alors d'autant plus besoin d'utiliser, ou du moins d'expulser cette chaleur. Ensuite ce vide d'occupation me rendait inéluctablement nerveuse. Je préférais laisser les autres se ressourcer avant la reprise des cours, et en profiter pour enfin maîtriser ce...pouvoir? Pouvait-on l'appeler comme ça? ...
Ici au moins, je disposais de l'environnement idéal pour éviter que le feu ne me ronge de l'intérieur, comme à son habitude, et d'assez d'espace pour causer autant de dégâts que je le voulais. Personne ne venait ici. Je me trouvais en fait sur un plateau à mi-hauteur, exposé au Nord, qui cachait ainsi mes avalanches quotidiennes au village et à l'internat. Mon feu avait maintenant plus de précision et de force que je ne l'aurais jamais cru; pourtant je continuais à longueur de journée à tenter mieux, toujours plus, toujours plus fort et toujours au détriment de mon énergie. Au début en tout cas. A présent, je me sentais clairement de plus en plus forte.
Nous étions début août. Cela faisait exactement un mois que je n'avais plus eu aucun contact avec quiconque. J'avais juste prévenu les personnes dont j'étais le plus proche que je partais. C'était tout. Le fait est que, entre autres, je ne voulais pas leur imposer ma compagnie. Des images me revenaient parfois, la plupart du temps lorsque je dormais, me donnant à chaque fois une sensation de sanglot irrépréssible au creux du ventre. Des voix aussi, de la musique, et tout me semblait si familier... "Il est parti, il est parti je te dis, il n'est plus là il ne reviendra pas il est parti..." Des voix lancinantes m'emplissaient la tête de mots dont j'ignorais la signification, avec ce sentiment dérangeant de savoir que j'aurais dû les reconnaître... Au fil de l'année, j'étais devenue de plus en plus sombre; les contacts me rendaient nerveuses, j'avais inconditionnellement besoin d'espace. De vide aussi. De paix, de silence, de calme. Et peut-être de musique.
M'allongeant de tout mon long dans la neige éternelle des glaciers, je fermais les yeux et pris la soudaine décision de ne plus me laisser guider que par mes instincts. Et là, je voulais jouer du piano. Je me relevais brusquement, secouant mes cheveux pour les débarasser de la neige fraîche qui s'y était accrochée et me rendit compte qu'ils étaient très longs. Je remettais mon débardeur, déversais un flot de chaleur contre un bloc de glace qui fondit instantanément, et entreprit de redescendre, comme j'étais montée, en me frayant un passage dans la glace à coup de feu et de griffes.
En arrivant au pied des glaciers, une image apparut soudain derrière mes paupières. Par sortes de flashs, j'entrevu un visage extrêmement familier, et en même temps très lointain, aux yeux bleus glace, à la peau presque aussi pâle que le mienne, qui semblait me parler, puis l'image se transforma pour devenir une vitre, derrière laquelle s'affairaient plusieurs silhouettes blanches. A intervalles réguliers, des flammes surgissaient devant mes yeux, mbrûlant encore et encore. Je me rendis alors compte qu'elle venaient de mes mains, que je ne les contrôlais pas du tout... Et du feu encore, le visage, du feu...
Je rouvrais les yeux. Devant moi, il n'y avait rien d'autre que le chemin qui traversait la forêt. Rien. Je sentis des larmes sur mes joues, fis fondre un des plus gros glaciers qui se trouvaient derrière moi et me mis à courir en m'enfonçant dans la forêt, une plainte effroyable s'échappant de ma bouche.
Mar 4 Aoû - 22:33