Un bruit répétitif, celui de mon réveil, me tira de mon sommeil agité. J’y jetai un coup d’œil : il indiquait cinq heures trente du matin, mais le soleil s’était déjà levé, et un mince rayon de lumière filtrait déjà à travers les rideaux fermés du dortoir déserté par les autres élèves partis en vacances. Soulagé de quitter mes draps chauds et mon lit trempé de sueur, je me réveillai instantanément. Ou plutôt, dire que je me levai serait plus exact. La nuit avait presque été blanche, troublée de visions sombres et de rêves où…Non, il valait mieux oublier ces choses, pensais-je.
Je m’avançais alors vers la douche, espérant que l’eau qui s’abattrait sur ma tête chasserait mes vagues pressentiments. Mais les millions de gouttes constituant le mince jet d’eau qui crépita sur mes épaules qui fouettèrent mon visage et mon corps n’eurent pas l’effet escompté. J’avais mal au ventre, mes entrailles semblaient se tordre en moi et mon esprit était comme embrumé, mes pensées comme solides. Secouant la tête avec agacement, je glaçai une partie du jet d’eau avec une précision qui m’aurait étonné seulement quelques mois plus tôt, à la désormais lointaine époque où je ne maîtrisais pas mes pouvoirs…
Toujours sous la douche, je me remémorai cette année décidément étrange, entre la découverte d’amis, mes premiers vrais amis, dotés de pouvoirs aussi extraordinaires que les miens et les tentations que représentaient de tels pouvoirs. Ce fut une année partagée, qui m’a apporté des joies que je n’avais jamais connues mais également des attraits que je sentais maléfiques, nourris par mes peines et mes douleurs, par mes faiblesses et mon orgueil auxquels je m’abandonnai parfois. Et puis il y avait aussi ces étranges visions d’expériences génétiques sur des humains, d’après ce que je pus en tirer. Et ils parlaient parfois de moi…
Cette année, j’ai découvert ce que les autres appelaient vraiment des « amis ». Pourtant, rien ne semblait le laisser présager au début de notre rencontre : mes…crises... me saisissaient alors régulièrement, et cela était assez peu propice pour tisser des liens d’amitié avec quiconque. Mais depuis Noël, mes tourments semblaient m’avoir quitté. Je me rapprochai alors de Tekzes et Akiro, que j’avais tellement méprisés auparavant, puis des autres : Luna, Aelis, Kim, Edward, Diamond et…Maily. Mon premier amour, celui que j’aimais et que j’aime encore à la folie. Celle qui m’a permis de résister aux séductions du pouvoir, aux atrocités que celui-ci me faisait commettre. Mes amis et Maily avaient élargi mon cercle très renfermé de personnes pour lesquelles j’éprouvais de l’amour, un amour sincère et véritable. Même si…
Je sortis de la douche, enfilai mon peignoir et allai ouvrir les rideaux, laissant les rayons d’un soleil qui brillait à présent de tous ses feux dans un ciel radieux envahir la pièce. Puis je m’allongeai sur mon lit, encore humide, laissant mon esprit s’ouvrir à des pensées que j’avais jusque là essayé de refouler…
Depuis quelques semaines, Maily était de plus en plus distante avec moi. Plus de rendez-vous secrets dans les recoins sombres du lycée, moins d’entrevues, moins de confidences. Parfois j’avais même l’impression qu’elle me repoussait. La tristesse m’envahit aussitôt, aussitôt rejointe par le malaise qui me saisissait depuis ce matin et qui s’en était momentanément allé durant ma petite rêverie sous la douche. Des sentiments stimulés par la peur de les perdre, et étouffés par la colère et l’amertume qui les accompagnaient. Et maintenant Maily était partie en vacances. Je tapai du poing sur le matelas, de dépit et de désespoir. Puis je me rendis compte du ridicule de mon attitude et de ma colère, et j’essayai de me calmer, de comprendre comment on avait pu en arriver là. Peut-être depuis ce jour…Non…Ou alors… Je n’arrivai décidément plus à réfléchir posément, et, dans un élan d’angoisse, les cauchemars de cette nuit s’imposèrent à nouveau à moi, et je me repris involontairement à penser à ce qui occupe mes pensées depuis maintenant une semaine : ma mère.
Ma mère avait été, depuis la mort de Papa, mon seul réceptacle d’amour, la seule personne qui n’a jamais trahi ma confiance, que je considérais digne d’estime, que j’aimais vraiment avant mon entrée au lycée et, bien sûr, ma rencontre avec les autres et Maily. Je l’avais laissée malade, affaiblie à mon départ pour l’île, et je m’en sentais terriblement coupable. Mais avec tout ce qui s’est passé ensuite, je l’avais presque oubliée. Reléguée dans un coin de mon esprit, elle vivait cependant en moi, je le sentais. Mais il y a une semaine… Mon oncle, son frère, m’a appelé pour me dire qu’elle avait finalement dû être hospitalisée. Une inquiétude sourde m’avait envahi alors, une inquiétude et une peur que je n’avais plus ressenties depuis Noël. Et un terrible sentiment de culpabilité, d’impuissance. Durant cette semaine terrible, je l’appelais trois fois par jour, isolé dans le dortoir, ne descendant plus que pour les repas, fuyant les autres. Que pouvais-je faire faire ? Que devais-je faire ? Comment pouvais-je l’aider? Pourquoi devrais-je être doté d’un pouvoir exceptionnel, si ce pouvoir ne me permettait pas de la sauver ? Et ces cauchemars, toujours les mêmes, revenus cette nuit, ce bloc opératoire d’une blancheur nacrée, ce cadavre revêtu d’un linceul de la même couleur irréelle, qui se révélait être sa mère ! Et ces images d’une enfance heureuse, lointaine et d’appels au secours ?!
Un sanglot s’échappa de ma gorge et les larmes suintèrent de mes yeux bleus et humides. J’avais délibérément abandonné mes plans de prise de pouvoir et de puissance après la catastrophe de Noël dernier et j’avais placé mon bonheur dans Maily et mes amis. Mais à présent, Maily s’éloignait, ma mère également, d’une façon bien plus terrible et les autres ne pouvaient rien pour moi. Non, en fait, ils ne m’aidaient pas. Personne n’était venu me voir depuis une semaine. Avec un faible sentiment coupable en ayant cette pensée, je pensai que personne ne s’inquiétait pour moi.
« Il avaient sûrement d’autres soucis, d’autres préoccupations plus graves… »
Non, encore une fois j’étais seul et bien seul dans le noir et le doute.
Jeu 16 Juil - 11:49